L’affaire Dreyfus

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L’affaire Dreyfus est un scandale politique qui a divisé la Troisième République française de 1894 jusqu’à sa résolution en 1906. L’Affaire Dreyfus est devenue le symbole de l’injustice moderne dans le monde francophone ; elle reste l’un des exemples les plus remarquables d’une erreur judiciaire complexe et d’antisémitisme. La presse a joué un rôle crucial dans la divulgation d’informations et dans la formation et l’expression de l’opinion publique des deux côtés du conflit.

Le scandale a commencé en décembre 1894 lorsque le capitaine Alfred Dreyfus, un officier d’artillerie alsacien français d’origine juive âgé de 35 ans, a été reconnu coupable de trahison pour avoir communiqué des secrets militaires français à l’ambassade d’Allemagne à Paris. Il est condamné à la prison à vie et envoyé outre-mer au bagne de l’île du Diable, en Guyane française, où il passe les cinq années suivantes dans des conditions d’emprisonnement très dures.

En 1896, des preuves sont révélées, notamment grâce aux investigations du lieutenant-colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage, qui identifient le véritable coupable, un major de l’armée française nommé Ferdinand Walsin Esterhazy.

Les hauts responsables militaires ont supprimé les nouvelles preuves et un tribunal militaire a acquitté Esterhazy à l’unanimité après un procès qui n’a duré que deux jours. L’armée porte d’autres accusations contre Dreyfus, fondées sur des documents falsifiés. Par la suite, la lettre ouverte J’Accuse… ! de l’écrivain Émile Zola, publiée dans le journal L’Aurore, a alimenté un mouvement croissant de soutien politique à Dreyfus, faisant pression sur le gouvernement pour qu’il rouvre l’affaire.

En 1899, Dreyfus est renvoyé en France pour un nouveau procès. L’intense scandale politique et judiciaire qui s’ensuit divise la société française entre ceux qui soutiennent Dreyfus, les « dreyfusards » tels que Sarah Bernhardt, Anatole France, Charles Péguy, Henri Poincaré et Georges Clemenceau, et ceux qui le condamnent, les « anti-dreyfusards » tels qu’Édouard Drumont, directeur et éditeur du journal antisémite La Libre Parole.

Le nouveau procès aboutit à une nouvelle condamnation à dix ans de prison, mais Dreyfus est gracié et libéré. En 1906, Dreyfus est innocenté. Après avoir été réintégré comme major dans l’armée française, il a servi pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale, terminant son service avec le grade de lieutenant-colonel. Il meurt en 1935.

L’affaire qui s’est déroulée de 1894 à 1906 a divisé la France entre les dreyfusards pro-républicains et anticléricaux et les anti-dreyfusards pro-armée et majoritairement catholiques. Elle a aigri la politique française et encouragé la radicalisation.

Résumé de l’affaire Dreyfus

Fin 1894, le capitaine de l’armée française Alfred Dreyfus, diplômé de l’École polytechnique et juif d’origine alsacienne, est accusé d’avoir transmis des documents secrets à l’armée impériale allemande. À l’issue d’un procès à huis clos, il est reconnu coupable de trahison et condamné à la prison à vie. Il est déporté à l’île du Diable en Guyane française. À cette époque, l’opinion de la classe politique française est unanimement défavorable à Dreyfus.

La famille Dreyfus, en particulier son frère Mathieu, reste convaincue de son innocence et travaille avec le journaliste Bernard Lazare pour la prouver. En mars 1896, le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage, trouve des preuves que le véritable traître est le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. L’état-major refuse de revoir son jugement et transfère Picquart à un poste en Afrique du Nord.

En juillet 1897, la famille de Dreyfus contacte le président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner pour attirer l’attention sur la faiblesse des preuves contre Dreyfus. Trois mois plus tard, Scheurer-Kestner se déclare convaincu de l’innocence de Dreyfus et persuade Georges Clemenceau, journaliste et ancien membre de la Chambre des députés, de la même chose. Le même mois, Mathieu Dreyfus se plaint d’Esterhazy au ministère de la Guerre.

En janvier 1898, deux événements donnent à l’affaire une dimension nationale : Esterhazy est acquitté des accusations de trahison (il se rase ensuite la moustache et fuit la France) et Émile Zola publie J’accuse…, une déclaration dreyfusarde qui rallie de nombreux intellectuels à la cause de Dreyfus. La France se divise de plus en plus au sujet de l’affaire, qui continue à faire l’objet de vifs débats jusqu’à la fin du siècle. Des émeutes antisémites éclatent dans plus de vingt villes françaises et des émeutes à Alger font plusieurs morts.

Malgré les tentatives secrètes de l’armée pour étouffer l’affaire, la condamnation initiale est annulée par la Cour suprême à l’issue d’une enquête approfondie. Une nouvelle cour martiale se tient à Rennes en 1899. Dreyfus est à nouveau condamné à dix ans de travaux forcés, mais la peine est commuée en raison de circonstances atténuantes.

Dreyfus accepte la grâce présidentielle accordée par le président Émile Loubet. En 1906, son innocence est officiellement établie par un arrêt irrévocable de la Cour suprême. Dreyfus est réintégré dans l’armée avec le grade de commandant et participe à la Première Guerre mondiale. Il meurt en 1935.

Les implications de cette affaire ont été nombreuses et ont touché tous les aspects de la vie publique française. Elle fut considérée comme une justification de la Troisième République (et devint un mythe fondateur), mais elle conduisit à un renouveau du nationalisme dans l’armée. Elle a ralenti la réforme du catholicisme français et l’intégration républicaine des catholiques.

L’Affaire engendre de nombreuses manifestations antisémites qui affectent le sentiment des communautés juives d’Europe centrale et occidentale. Dans le même temps, les Juifs de l’Empire russe subissent la pression des pogroms en réponse à l’instabilité politique du Pays de Galles. Ces facteurs persuadent Theodor Herzl, l’un des pères fondateurs du sionisme, que les Juifs doivent quitter l’Europe et créer leur propre État.

Contextes de l’affaire

Le contexte militaire

L’affaire Dreyfus intervient dans le contexte de l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne, un événement qui nourrit le nationalisme le plus extrême. La défaite traumatisante de la France en 1870 semble loin, mais l’esprit de vengeance demeure. De nombreux acteurs de l’affaire Dreyfus sont alsaciens.

Les militaires ont besoin de moyens considérables pour préparer le prochain conflit, et c’est dans cet esprit que l’Alliance franco-russe du 27 août 1892 est signée, bien que certains opposants la jugent « contre nature ». L’armée s’est remise de la défaite, mais beaucoup de ses officiers sont des aristocrates et des monarchistes. Le culte du drapeau et le mépris de la république parlementaire prévalent dans l’armée. La République célèbre son armée, l’armée ignore la République.

Au cours des dix années précédentes, l’armée a connu une évolution significative résultant de son double objectif de démocratisation et de modernisation. Les diplômés de l’École polytechnique sont désormais en concurrence effective avec les officiers issus de la grande carrière de Saint-Cyr, ce qui provoque des querelles, de l’amertume et de la jalousie chez les officiers subalternes en attente d’avancement.

Cette période est également marquée par une course aux armements qui touche principalement l’artillerie. On assiste à l’amélioration de l’artillerie lourde (canons de 120 mm et 155 mm, modèles 1890 Baquet, nouveaux freins hydropneumatiques), mais aussi, et surtout, au développement du canon ultra-secret de 75 mm.

A noter le fonctionnement du contre-espionnage militaire, alias la « Section des statistiques » (SR). L’espionnage en tant qu’outil de guerre secrète était une nouveauté en tant qu’activité organisée par les gouvernements à la fin du 19e siècle. La Section des statistiques a été créée en 1871, mais elle ne comptait qu’une poignée d’officiers et de civils. Son chef en 1894 est le lieutenant-colonel Jean Sandherr, diplômé de Saint-Cyr, alsacien de Mulhouse et antisémite convaincu.

Sa mission militaire est claire : récupérer des informations sur les ennemis potentiels de la France et les alimenter en fausses informations. La Section des statistiques s’appuie sur les « Affaires secrètes » du Quai d’Orsay du ministère des Affaires étrangères, dirigées par un jeune diplomate, Maurice Paléologue.

La course aux armements a créé un climat d’intrigue aiguë à partir de 1890 dans le contre-espionnage français. L’une des missions de la section est d’espionner l’ambassade d’Allemagne, rue de Lille à Paris, afin de contrecarrer toute tentative des Français de transmettre des informations importantes aux Allemands. Cette mission est d’autant plus importante que plusieurs affaires d’espionnage ont déjà fait la une des journaux, friands de sensationnel. En 1890, l’archiviste Boutonnet est condamné pour avoir vendu des plans d’obus à la mélinite.

L’attaché militaire allemand à Paris en 1894 est le comte Maximilian von Schwartzkoppen, qui développe une politique d’infiltration qui semble efficace. Dans les années 1880, Schwartzkoppen avait entamé une liaison avec un attaché militaire italien, le lieutenant-colonel comte Alessandro Panizzardi.

Bien que ni l’un ni l’autre n’aient rien à voir avec Dreyfus, leur correspondance intime et érotique (par exemple, « Ne vous épuisez pas avec trop de sodomie »), qui a été obtenue par les autorités, a donné un air de vérité à d’autres documents qui ont été falsifiés par les procureurs pour donner une crédibilité rétroactive à la condamnation de Dreyfus en tant qu’espion. Dans l’un d’eux, Alessandro aurait informé son amant que si « Dreyfus est interrogé », ils devront tous deux déclarer qu’ils « n’ont jamais eu affaire à ce Juif… ». Il est clair que personne ne pourra jamais savoir ce qui s’est passé avec lui ».

Les lettres, vraies ou fausses, fournissent une excuse commode pour placer l’ensemble du dossier Dreyfus sous scellés, étant donné que la révélation de la liaison aurait « déshonoré » les militaires allemands et italiens et compromis les relations diplomatiques. L’homosexualité étant, comme le judaïsme, souvent perçue à l’époque comme un signe de dégénérescence nationale, des historiens récents ont suggéré que le fait de les associer pour gonfler le scandale a pu influencer la stratégie de l’accusation.

Depuis le début de l’année 1894, la Section de statistique enquêtait sur le trafic des plans directeurs de Nice et de la Meuse menés par un officier que les Allemands et les Italiens surnommaient Dubois. C’est ce qui est à l’origine de l’affaire Dreyfus.

Le contexte politique

En 1894, la Troisième République a vingt-quatre ans. Bien que la crise du 16 mai 1877 ait paralysé l’influence politique des royalistes bourboniens et orléanistes, ses ministères continuent d’être éphémères alors que le pays va de crise en crise : les trois années précédant immédiatement l’affaire Dreyfus sont le quasi-coup d’État de Georges Boulanger en 1889, les scandales de Panama en 1892 et la menace anarchiste (réduite par les « lois scélérates » de juillet 1894).

Les élections de 1893, centrées sur la « question sociale », se soldent par une victoire républicaine (un peu moins de la moitié des sièges) contre la droite conservatrice, et par le renforcement des radicaux (environ 150 sièges) et des socialistes (environ 50 sièges).

L’opposition des radicaux et des socialistes aboutit à un gouvernement centriste avec des politiques orientées vers le protectionnisme économique, une certaine indifférence aux questions sociales, une volonté de rompre l’isolement international, l’alliance russe et le développement de l’empire colonial.

Ces politiques centristes ont entraîné une instabilité ministérielle, certains membres républicains du gouvernement s’alignant parfois sur les radicaux et certains orléanistes s’alignant sur les légitimistes au cours des cinq gouvernements successifs de 1893 à 1896. Cette instabilité a coïncidé avec une présidence tout aussi instable : Le président Sadi Carnot est assassiné le 24 juin 1894 ; son successeur modéré Jean Casimir-Perier démissionne quelques mois plus tard, le 15 janvier 1895, et est remplacé par Félix Faure.

Après l’échec du gouvernement radical de Léon Bourgeois en 1896, le président nomme Jules Méline Premier ministre. Son gouvernement fait face à l’opposition de la gauche et de certains républicains (dont l’Union progressiste) et veille à conserver le soutien de la droite. Il cherche à apaiser les tensions religieuses, sociales et économiques et mène une politique assez conservatrice. Il réussit à améliorer la stabilité, et c’est sous ce gouvernement stable que se produit l’affaire Dreyfus.

Le contexte social

Le contexte social est marqué par la montée des nationalismes et de l’antisémitisme. Le développement de l’antisémitisme, virulent depuis la publication de La France juive d’Édouard Drumont en 1886 (150 000 exemplaires la première année), va de pair avec la montée du cléricalisme. Les tensions sont vives dans toutes les couches de la société, alimentées par une presse influente, quasiment libre d’écrire et de diffuser n’importe quelle information, même si elle est injurieuse ou diffamatoire. Les risques juridiques sont limités si la cible est une personne privée.

L’antisémitisme n’épargne pas les militaires qui pratiquent une discrimination larvée avec le système de notation irrationnelle de la « cote d’amour » (appréciation subjective de l’acceptabilité personnelle), rencontré par Dreyfus lors de sa candidature à l’Ecole de Bourges.

Cependant, si des préjugés de cette nature existent sans doute au sein de l’état-major, l’armée française dans son ensemble est relativement ouverte aux talents individuels. Au moment de l’affaire Dreyfus, on estime à 300 le nombre d’officiers juifs dans l’armée (environ 3 % du total), dont dix généraux.

La popularité du duel à l’épée ou au petit pistolet, parfois mortel, témoigne des tensions de l’époque. Lorsqu’une série d’articles de presse parus dans La Libre Parole accusent les officiers juifs de « trahir leur naissance », les officiers défient les rédacteurs. Le capitaine Crémieu-Foa, juif alsacien diplômé de l’Ecole Polytechnique, se bat en vain contre Drumont et contre M. de Lamase, auteur des articles. Le capitaine Mayer, un autre officier juif, fut tué par le marquis de Morès, un ami de Drumont, dans un autre duel.

La haine des Juifs est désormais publique et violente, sous l’impulsion d’un brûlot (Drumont) qui diabolise la présence juive en France. En 1895, la France métropolitaine compte environ 80 000 juifs (40 000 pour la seule ville de Paris), très intégrés dans la société ; 45 000 juifs supplémentaires vivent en Algérie.

Le lancement de La Libre Parole, dont le tirage est estimé à 200 000 exemplaires en 1892, permet à Drumont d’élargir son audience à un lectorat populaire déjà séduit par l’aventure boulangiste dans le passé. L’antisémitisme diffusé par La Libre Parole, mais aussi par L’Éclair, Le Petit Journal, La Patrie, L’Intransigeant et La Croix, s’appuie sur les racines antisémites de certains milieux catholiques.

Les publications commentant l’affaire Dreyfus renforcent souvent les sentiments, le langage et l’imagerie antisémites. Le Musée des horreurs était une collection d’affiches anti-Dreyfus illustrées par Victor Lenepveu pendant l’affaire Dreyfus. Lenepveu a caricaturé « d’éminents juifs, des partisans de Dreyfus et des hommes d’État républicains ».

Le numéro 35, Amnistie populaire, représente le cadavre de Dreyfus lui-même suspendu à un nœud coulant. Les gros nez, l’argent et la tendance générale de Lenepveu à illustrer ses sujets avec des cadavres d’animaux ont probablement contribué à la diffusion de l’antisémitisme dans la culture populaire française.

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